Tunisie : Le régime de Kaïs Saïed et la répression croissante de la liberté de presse

La dérive autoritaire du régime tunisien ne cesse de s’étendre. Elle vise tous les espaces de libertés arrachés après la révolution de 2010-2011. Depuis le coup d’Etat du 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs, s’attaque à tous les corps intermédiaires et contrepouvoirs qui s’interposeraient entre lui et le « peuple ». Parmi les cibles du régime, les journalistes figurent en bonne place. Ainsi, en 3 ans, la Tunisie a perdu 45 places au classement RSF pour la liberté de la presse.

Ces menaces passent aussi par des intimidations. La confusion entre un pouvoir central qui assume de museler les voix critiques et des services qui font du zèle rend difficilement lisible la situation. Le cas d’Ahmed Kharbouch illustre bien la situation. Ce journaliste-producteur à Mosaïque FM et collaborateur de la télévision Attassia, est au Canada. Son épouse, en Tunisie, a été intimidée à deux reprises par un homme qu’on soupçonnait d’être un policier en civil. La première fois était en mois de septembre, « l’agent » lui demandait les nouvelles de son époux et où il est installé sans autres détails.  La seconde apparition était en ce mois de juin lorsque la dame est accompagnée par son fils ainé âgé de moins de quatre ans en rentrant du jardin d’enfant situé à quelques mètres du ministère de l’intérieur. « L’agent » pose au petit enfant des questions, en l’appelant avec son nom, du genre si son père va bien et lui demande de passer le bonjour à son petit frère âgé d’un an et demi.

S’il est difficile de relier cette affaire, pour l’instant sans conséquences concrètes, au pouvoir, le profil de Kharbouch plaide pour une volonté d’intimidation. En effet, le journaliste a travaillé avec plusieurs personnalités médiatiques aujourd’hui poursuivies et/ou incarcérées. 

Le 13 février 2023, la police arrête le journaliste  Noureddine Boutar, patron de Mosaïque FM. Il lui est reproché des faits de blanchiment d’argent et d’enrichissement illégal. Il sera placé en détention pendant plus de trois mois.

Le 22 mai 2023, les journalistes Haythem El Mekki et Elyes Gharbi, présentant l’émission Midi Show, dont Kharbouch est le producteur, comparaissent devant la brigade criminelle de Tunis à la suite d’une plainte déposée par un syndicat policier, basée sur « des propos tenus dans l’émission ».

Le 22 mars 2024, les autorités arrêtent le journaliste Mohamed Boughalleb, qui officiait à Attassia TV. Les autorités lui reprochent des propos tenus à l’antenne mettant en cause une possible mauvaise gestion de l’argent public par Ibrahim Chaïbi, ministre des Affaires religieuses, limogé de ses fonctions le 21 juin 2024. Cette arrestation intervient après près d’un an d’harcèlement judiciaire orchestré par ledit ministre. Il sera condamné à six mois de prison ferme.

Le 11 mai 2024, la police interpelle quasi-simultanément les journalistes et chroniqueurs  Sonia Dahmani, Borhen Bsaiess et Mourad Zeghidi pour délit d’opinion suite à des propos tenus sur antenne ou sur les réseaux sociaux. Bsaiess et Zeghidi sont tous deux condamnés à un an de prison en vertu du décret-loi 54 qui réprime la critique du régime sous couvert de lutte contre les « fausses nouvelles ». Dahmani, toujours en détention provisoire est également poursuivie sur la base du même décret-loi. Les trois professionnels des médias ont travaillé dans des émissions de la chaîne Attassia, notamment dans l’émission Rendez-vous 9.

Tous ces éléments dessinent un faisceau d’indices tendant à démontrer que les émissions dont Ahmed Kharbouch a été le producteur (Midi Show et Rendez-vous 9) sont dans le collimateur d’un régime qui se montre rétif à la moindre critique le concernant. Les arrestations et condamnations évoquées servent à la fois à punir des acteurs médiatiques non-alignés sur le pouvoir et à faire peur à ceux qui oseraient le contrarier. Qu’il s’agisse d’une initiative personnelle ou d’une stratégie réfléchie, la tentative d’intimidation de la famille Kharbouch s’inscrit dans ce climat de peur instauré par le pouvoir en place en Tunisie.

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